30 mai 2009

Tombeau pour Kalakoa, le touareg inconnu


Kalakoa
(d’après une photo de Pascal Maitre)


















Les militaires – comme toujours –
les militaires ne font qu’obéir aux ordres du pouvoir qui les emploie. Que ce « pouvoir » soit légitime ou dictatorial.
Mais, quand il arrive à un pouvoir à la solde de « grandes puissances » et se partageant avec elles le produit du vol des matières premières, au détriment des citoyens d’un pays pauvre, oui, quand il arrive à un pouvoir de laisser la bride sur le cou de ses militaires en leur octroyant TOUS POUVOIRS, et ce afin de mater des soi-disant « rebelles » [comprenez : rebelles à l’enrichissement personnel d’une minorité corrompue], alors… il peut arriver également que ces mêmes militaires fassent preuve de zèle, et exécutent les ordres ET les rebelles avec une violence dix fois supérieure à celle que le pouvoir attendait d’eux. Une violence sauvage. Aveugle. Sadique. Ou tout à la fois. Une violence qui se torche avec la Convention de Genève, puisque cette violence va bien au-delà de « l’ordre » même.
Dire que cette brutalité inimaginable laisse jusqu’aux donneurs d’ordre sans voix… Ah, les hypocrites !

C’est une « bavure » de ce genre qui s’est produite, un jour de l’été 2007. Et aucun journal télévisé de France ni de Navarre n’en a parlé. Je l’ai appris, moi-même, grâce au « Requiem pour un nomade » du reporter Michael Stuhrenberg, en feuilletant, par hasard, le n° d’octobre 07 du magazine Géo. Les crimes furent perpétrés au Niger *, pays pauvre parmi les plus pauvres. Mais pays dont le sous-sol est riche en uranium !

Kalakoa, paisible nomade touareg, et deux autres Kel Tadele ** abreuvaient chèvres et chameaux au puits de Tezerzait. Les trois vieillards – dont un aveugle et un octogénaire ! – se retrouvent vite encerclés par pas moins de cent soldats nigériens. Considérés aussitôt comme des « poseurs de mines » – ils n’ont pourtant rien de rebelles – tant pis : après deux jours de brimades et de corvée d’eau, ils seront froidement égorgés. Puis découpés en morceaux : folie, sauvagerie ou volonté de « faire un exemple » ? Enfin, les soldats les enterreront sommairement autour de ce même puits.

Kalakoa et ses compagnons d’errance auraient pu être arrêtés.
La soldatesque était en nombre suffisant… Non. Kalakoa est mort.
Sans comprendre.
Sans autre forme de procès.


***

Je dessine ton portrait,
et ton regard hante mes nuits d’Européen sédentaire.
Moi qui vis auprès de com-patriotes toujours prompts
à glorifier NOS militaires, quand ils défilent
aux côtés de Bechar el Assad, ce 14 juillet, par exemple.
Prompts à pleurer NOS morts en Afghanistan.
Ou à vendre, via le VRP Sarkozy, nos centrales nucléaires (si friandes d’uranium) aux dictateurs…

Kalakoa. J’écris pour esquisser un tombeau de papier
dans le désert du Niger ; un tombeau
à ta mémoire, ô touareg inconnu !
Les mots s’ensablent… Qu’importe ?
Je t’élève ce tombeau de poussières, de mots nomades,
en toute fraternité [arrachée à notre devise républicaine].

Afin que mon poème soulève le voile de ton chèche,
découvre ton martyr imbécile, monstrueusement inutile.
Dans l’espoir que les vers reconstituent tout ton être
dans sa plénitude, parmi Dakoye, ta femme, et vos neufs enfants.
Pour que ton portrait d’homme au regard droit, nomade,
éclaire d’un sourire cet univers mondialisé
qui se fout de la paix, de la nature, de la vie…
comme de son premier crash boursier !

Kalakoa, mon frère d’âme, je te parle avec chaleur,
et souhaite ainsi que nul/le n’ignore le froid du métal
réglementaire et militaire qui s’abattit sur toi ;
s’abat encore et toujours sur tes semblables :
Afghans ; Boliviens ; Irakiens ; Kabyles ; Palestiniens ;
Tchétchènes ; Tibétains ; Touaregs…
au nom du terrorisme d’Etat
qui ne fait pas de détails
dans sa boucherie légale
sponsorisée par les industriels ***
avec l’aide des commis voyageurs
de nos irréprochables pays « développés »
pour qui une vie humaine ne vaut pas cher,
pour qui seuls comptent les marges bénéficiaires,
la croissance positive, le profit maxi…

Kalakoa, quel poète, quel naïf a écrit :
« Le crime ne paie pas » ?

* * *

Les soldats qui vous ont assassinés, et le Président Tandja qui les en a chargé, et s’en est félicité, croient-ils vraiment que, en massacrant trois vieillards désarmés, ils vont réussir à intimider les rebelles du MNJ ? Croient-ils ainsi pouvoir décourager toute tentative de résistance ? Les vrais rebelles, arrivés peu après sur les lieux du massacre, ont attaqué les soldats restés sur place pour se repaître des chameaux de Kalakoa. Cet accrochage fit 15 morts et 43 blessés…

Pour que nul n’en ignore,
pour que nos étranges affaires étrangères
chères à Kouchner
ne se drapent pas davantage dans le cynisme
de la « real-politique »,
pour qu’aucun autre crime impuni
ne vienne rougir l’ehan **** d’aucun nomade,
pour que ton sacrifice absurde ne se reproduise,
Kalakoa ;

j’ai essayé, moi, petit blanc de France,
de dire devant ta tombe que la bonne conscience
des néo-colonialistes,
qu’ils soient Américains, Chinois, Russes
ou Européens, n’est pas plus soluble
dans l’eau du lac Leman, sis Genève,
que ne l’est le sable du désert nigérien
dans le sang d’innocents.


* * *


* classé par les Nations unies 177ème sur… 177 !
** membres d’une tribu touareg
*** de type AREVA, Bouygues, BP, Dassault, Monsanto, Total…
**** tente, dans la langue des Kel Tadele


Source: http://evazine.com/

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