Comment résister aux puissances extérieures et quelle forme nouvelle de société adopter pour y parvenir, puisque l'organisation traditionnelle a échoué dans cette tâche ? Cette question fut et est encore l'objet d'un débat entre les différents courants politiques qui ont opté pour des stratégies variées.
Déjà, au début du siècle, Kaosen fut le promoteur d'un projet étatique moderne qui heurtait les chefs traditionnels. En fait, il puisait son inspiration dans le système politique des ighollan de l'Aïr où les groupements, ayant renoncé au statut et au tribut, sont placés sur pied d'égalité au sein de l'assemblée . Ce modèle lui servit à concevoir non seulement les rapports entre les groupes et les catégories sociales en présence, mais également les liens entre individus. Combattant le paternalisme des anciens, il fut le premier à appliquer avec constance l'idée que tous les hommes sont égaux devant la loi et qu'un individu se définit par ses actions et non par son rang, sa classe, sa filiation. Ainsi, pour défendre le pays, il n'hésita pas à enrôler aux côtés des guerriers toutes les catégories sociales de "protégés", traditionnellement pacifistes. Dans le même esprit, il trouva légitime d'attaquer ceux qui s'étaient soumis à l'ennemi, quel que soit leur statut, délaissant l'idéologie de la protection pour se référer plutôt au libre arbitre et à la responsabilité morale de chacun.
Cette "révolution" a propagé ses ondes à l'intérieur de la société touarègue. Plusieurs grandes aspirations s'expriment aujourd'hui, faisant ricocher certaines visions de Kaosen. Tout en prolongeant la perception dynamique de l'univers que développe la philosophie touarègue , elles aboutissent à des changements de perspective importants dans la conception de l'ordre social.
De complémentaire et hiérarchisée qu'elle était, la relation entre les êtres est repensée sur le mode égalitaire. Ainsi est largement prôné l'abandon de la hiérarchie sociale, dont les échelons ont d'ailleurs été déjà nivelés, disent les intéressés, par la misère et la domination extérieure.
Un prolongement de cette revendication interne est formulé par les femmes qui réclament l'équivalence des rôles masculins et féminins. Difficile à accepter par les hommes qui se sentent remis en cause sur leur terrain d'action la guerre et la gestion des rapports avec l'extérieur , cette aspiration sonne aussi le glas des prérogatives dont jouissait la femme touarègue, placée sur un piédestal, protégée et adulée. Ce renoncement des femmes à leurs privilèges et leur désir de changement de statut sont en effet associés à une critique implicite des hommes qui n'ont pas su faire aboutir l'action armée engagée. Le constat de l'incapacité masculine par les femmes, ces "usines à critique" comme le dit un jeune combattant, et de l'autre côté la honte et la culpabilité des hommes traversent certains discours sur la situation actuelle.
Enfin, l'égalité des combattants révolutionnaires est une exigence que beaucoup opposent à la hiérarchie militaire inculquée récemment aux ishumar dans les casernes libyennes et qui a abouti à l'instauration d'une disparité entre les droits et les devoirs de chacun.
L'attachement à un modèle politique fédéraliste, au rôle des assemblées et des délégations à tous les niveaux de la société, à l'autonomie relative de chaque unité articulée à l'ensemble par un système d'arbitrage, s'exprime et débouche sur une conception ouverte et plurielle de la nation vue comme "un carrefour de toute l'humanité". Comme le disent certains, il s'agit de "trouver une formule qui réunisse l'ensemble du pays et des nations" en les bâtissant "sur des piliers nobles qui respectent la dignité de tous".
Par contre, à la volonté manifestée au début de la lutte de rester unis, pairs et solidaires, s'est substituée la constatation déchirante des fractures de la résistance illustrées par la scission des mouvements armés, par la coupure entre combattants de base et chefs de fronts, ainsi que par l'abîme qui s'est creusé entre les aspirations du peuple et le résultat des négociations avec les autorités.
5 déc. 2006
La révolution
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