Les Touaregs, nageurs de l'infini
Mohamed Ali ag Ataher Insar
Propos recueillis en touareg par H. Claudot-Hawad et Hawad à Témara (Maroc) en mai 1992.
Dès les années 1920, pendant l'ère coloniale, deux ans après la défaite du dernier grand épisode de la résistance armée touarègue dans l'Aïr, Mohamed Ali ag Ataher Insar, qui deviendra chef des Kel Intesar à la mort de son père en 1926, s'investit dans la scolarisation en français des enfants touaregs, estimant qu'il faut savoir affronter l'adversaire avec ses propres armes . Il va se heurter à la réticence des familles touarègues par rapport à l'école coloniale, aussi bien qu'à l'opposition de l'administration française qui l'empêche de mener à bien son projet de former les enfants touaregs à une éducation moderne de haut niveau. Sa détermination le conduira à obtenir des Etats arabes l'inscription de ses recrues dans les universités moyen-orientales. Par contre, c'est en vain qu'il cherchera auprès de l'Egypte, de l'Arabie Saoudite et de la Libye un soutien politique pour sa lutte indépendantiste. Il se rendra ensuite au Maroc, juste avant la création des Etats du Mali et du Niger en 1960. Soupçonné de diriger la révolte touarègue qui en 1963 éclate dans l'Adrar sous une forme viLe pays déchiqueté olente, il est extradé par les autorités marocaines et remis au gouvernement malien. Sa détention à Bamako durera de 1963 à 1977. A sa sortie de prison, refusant tout compromis avec l'Etat malien, il retourne à son exil marocain. Mohamed Ali s'est éteint à Témara en juillet 1994.
Une nation piétinée et pillée
Au début, les Touaregs formaient une nation (tumast) qui avait sa structure et ses visions par lesquelles elle perpétuait son monde. Alors, la France est arrivée avec son ingénierie. Elle a tenté de les dominer et, eux, lui ont résisté jusqu'à ce qu'elle les brise et les asservisse. C'est dans cette situation que sont arrivées les années des indépendances africaines dont la nature n'a pas de nom , une face de la colonisation qui surpasse la première pour les Touaregs car cette époque - commencée aux environs de 1960 jusqu'à présent - a réduit l'Afrique à l'état de dépouille et en particulier le monde touareg, privé de tout l'héritage que la colonisation avait accaparé et qu'elle aurait dû restituer à chaque peuple ou nation colonisés. Bien qu'il s'agisse d'une phase de la colonisation, celle de la comédie, qui consistait à "libérer", la France n'a rien donné ni rien remboursé aux Touaregs pour l'invasion et le piétinement de leur nation, comme on l'a donné à d'autres peuples, mais au contraire les Touaregs après la comédie des indépendances, se sont retrouvés de nouveau colonisés et même encore plus qu'avant. La révolte de ces dernières deux années n'est qu'un petit aspect de l'éclosion d'un peuple assassiné , épuisé et étouffé sous une dalle. Mais ce soulèvement jusque-là n'a été l'affaire que de l'un des bras des Touaregs (imashaghen), tandis que l'autre partie, celle qui forme la majorité du corps touareg, même si elle continue à résister dans le silence, ne s'est pas encore dressée. Ce soulèvement par lequel avancent en rampant les Touaregs épuisés, va les amener à la conquête des droits (turagen) de leur nation. Il est difficile aux Touaregs aujourd'hui de reculer. Les nations du monde doivent savoir elles aussi que par leur renfort aux Etats qui nous colonisent, eux qui ont mangé tous nos droits, elles ont transformé notre carcan et même notre famine et notre soif en une fortune fructifiante pour ces Etats nés sur notre dos. Moi, quand j'étais en prison à Bamako, chaque nuit j'écoutais la radio et je l'entendais souvent annoncer les aides venues de divers pays pour Tombouctou. Dans toutes ces années passés, j'ai compté jusqu'à onze milliards, mais moi qu'on torturait dans la prison de Bamako, chaque fois que je tombais malade et que je demandais au gouvernement de Bamako un médicament, il me chassait comme si j'étais un chien. Evidemment, ne parlons pas des pauvres de Tombouctou et surtout de ceux qui sont dans le désert : rien ne leur est parvenu de ces dons. Au contraire, cette aide a renforcé le pillage de l'Etat malien auquel ils ont à faire face chaque jour et pour lequel ils sont devenus l'appât à rabattre la charité mondiale qui engraisse les armées et le bon peuple qui nous broient socialement et physiquement. Jusqu'à présent, la situation en est à ce stade. Aucun Touareg n'a rien pu posséder ni entreprendre. L'Etat est devenu un outil de massacre des Touaregs.
Un seul avenir, la résistance
Quel est le devenir de notre société ? Pour moi, personne ne sait ce que sera son lendemain. La seule chose dont je suis sûr et que je partage avec tout mon peuple, c'est que nous les Touaregs, jusqu'à l'extinction, nous n'accepterons jamais cette colonisation ni ne nous y soumettrons.
Tant que notre peuple se fera massacrer, notre résistance ne cessera de puiser encore une force et un souffle nouveaux pour nourrir une résistance solide comme la pierre. Quel avenir pour nous, sauf continuer à résister en mourant ou en vivant pour perpétuer notre nation ?
De chaque côté nous encerclent la mort et la haine, tout un ordre qui ne veut que l'épuisement et l'effacement de notre peuple. Il n'existe personne ni aucun pays qui nous hissera au-dessus de tous les faits qui étranglent notre vie.
Dans cette voie de la résistance qui est devenue notre essence, rien ne nous déviera ni ne nous freinera. Et que le monde entier le sache, nous, les Touaregs, ne sommes prêts à rien d'autre qu'à la lutte, au combat jusqu'au jour de notre victoire ou bien de notre anéantissement, en parcourant la route tracée et digne de la résistance.
Avec nos combattants et notre peuple qui s'est exilé pour se réfugier en Mauritanie et en Algérie, là encore nous avons constaté que la Mauritanie et l'Algérie veulent seulement notre disparition. Mais ce que ceux de Nouakchott et d'Alger ignorent, c'est que nous aussi nous préférons mourir en tant que résistants pour défendre notre nation. A une vie sans dignité - dignité par laquelle nous préserverions notre nation - à cette vie sans âme, nous préférons la mort dans l'honneur et la voie de la résistance.
La mort qui nous a foudroyés pour la cause de notre nation, cette mort nous la voulons et, chez nous, elle est toujours un trésor sur lequel se ruent nos combattants.
Mes frères et mes enfants me demandent : "Demain si nous libérons une ou deux bandes du territoire de notre nation, faudra-t-il cesser la lutte ?" Non, non. Même si nous arrachons à l'occupant un coude de notre terre, nous ne cesserons la lutte qu'à la libération du pays touareg. Ce combat ou cette résistance qui nous fait chanceler est déjà pour moi comme un soleil qui éclôt la nuit pour illuminer tout notre pays
Les hommes et les femmes touaregs qui vendent la cause de leur nation au Mali, au Niger, à l'Algérie et même à la Libye, ces gens qui ont gâché leur âme en trahissant leur nation pour de l'argent, ces dilapideurs n'ont et n'auront pour moi ni parole ni visage et nous nous attendons à ce qu'ils nous tuent aujourd'hui ou demain car nous, jusqu'à l'infini, ne cesserons de résister
Pour abriter notre nation déchirée, nous en sommes au début, au commencement de la libération de notre pays. Partout où il y a un Touareg, pour moi, ce n'est qu'un fragment du cur de la nation touarègue éventrée. Et rien ne pourra la recoudre que le sang et les balles de ses enfants, ceux qui usent de l'esprit de la résistance, une résistance qui ne se soumet pas, une résistance comme celle de nos ancêtres.
Il faut que la France, qui a tailladé notre nation et notre pays, sache que ni l'argent ni le feu ne nous feront jamais accepter d'être dirigés par ses nouveaux serviteurs.
Moi aujourd'hui j'ai 95 ans et suis le voisin des cieux. Par les cieux je jure que moi et tous les Touaregs sommes décidés à naviguer dans les maux de notre nation, à naviguer jusqu'à parvenir à tenir de nos bras le gouvernail de nos destinées et de notre pays.
Touaregs, nageons, nageons jusqu'à atteindre notre jour et si nous périssons dans l'océan de la libération de notre nation, alors notre résistance sera une leçon pour les mondes qui adviendront.
5 déc. 2006
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